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20 mars 2024 3 20 /03 /mars /2024 02:00

U

n employé d’une grande distribution risque d’être licencié pour avoir pris six melons et deux salades qu’il a récupérés dans une poubelle du supermarché où il travaillait.

 

Il vient d’être convoqué pour un entretien de licenciement. La direction prétend qu’il aurait dû faire une demande officielle pouvant autoriser ce qu’il a fait. Faute de quoi cet acte est considéré comme un vol.

 

Nous voici donc en pleine absurdité. Mieux vaut laisser les légumes pourrir que d’en faire profiter quelqu’un. C’est à la fois comique et tragique. On pense à du Courteline, et à du Kafka. Mais l’enjeu, qui est le chômage possible de cet homme, fait assurément se figer le sourire sur nos lèvres.

 

Je vois là aussi un signe de la brutalité extrême de notre monde. Ce que la littérature a déjà évoqué, par exemple avec le cas de Jean Valjean envoyé au bagne pour le vol d’un pain, dans Les Misérables de Victor Hugo, se réalise effectivement. Et à côté de cela, combien s’emplissent les poches « légalement », sans être inquiétés le moins du monde !

 

On se demande, comme le disait déjà Montaigne en faisant parler ses Cannibales, pourquoi dans notre Occident qui se prétend encore chrétien en affirmant la fraternité nécessaire entre tous les hommes, les pauvres ne prennent pas les riches à la gorge, et ne mettent pas le feu à leurs maisons !

 

Ce qui est intéressant aussi est l’argument évoqué : tout doit se faire légalement, en respectant les formes prévues, ici le dépôt d’une demande d’autorisation pour prélever quelques miettes d’un surplus condamné de toute façon à la destruction.

 

Le légalisme administratif peut être la pire des choses. On sait bien pourtant que la lettre tue, et que l’esprit vivifie. Et l’adage latin aussi le dit à sa façon : summum jus, summa injuria (plus grand est le droit, plus grande est l’injustice).

 

Et n’oublions pas non plus que le légal n’est pas toujours le légitime. On le sait depuis l’affrontement entre Antigone et Créon dans la pièce de Sophocle. Pour respecter légalisme et formes, on a même ranimé des condamnés à mort avant de les mener au supplice ! Voyez le film de Kubrick Les Sentiers de la gloire, où on soigne un soldat blessé, accusé de trahison, avant de le fusiller : il faut qu’il soit debout en cette occasion.

 

On a même été aux États-Unis jusqu’à refuser une cigarette à un condamné à mort juste avant son exécution, au motif que le tabac est mauvais pour la santé ! On voit que l’hygiénisme peut mener à la pire barbarie. [v. Cruauté]

 

Notre exemple de départ est dans son ordre aussi abject, et on se demande qui peut bien oser encore se prêter à cette sinistre comédie.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 21 juillet 2011

 

*

 

Retrouvez d'autres textes comme celui-là dans le livre suivant

(cliquer sur l'image ci-dessous) :

 

D.R.

 

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18 mars 2024 1 18 /03 /mars /2024 02:00

D

ans son livre Drunk With Blood: God’s Killings In The Bible (Ivre de sang: les meurtres de Dieu dans la Bible), Steve Wells dénombre tous les meurtres et exécutions commis par Dieu dans la Bible : lorsqu’on se contente de regarder les assassinats et génocides pour lesquels il existe un décompte précis, on arrive au chiffre phénoménal de 2,8 millions de morts (Source : Slate.fr., 25/04/2016).

 

Bien sûr, la Bible n’est pas le seul livre sacré des religions monothéistes qui montre la face violente de Dieu. Assurément ces mêmes livres s’ils paraissaient aujourd’hui, seraient aussitôt condamnés et interdits par notre justice, pour apologie du meurtre. [v. Conservatisme]

 

À partir de là, on peut, comme font les théologiens progressistes, resituer ces passages dans une époque ancienne où régnait cette violence dont heureusement nous sommes sortis aujourd’hui, et les relativiser. Mais ce faisant on n’empêchera pas les croyants naïfs de continuer à les prendre au premier degré.

 

Ou bien, si on n’en admet pas l’existence, on veut les supprimer du canon. Ce fut l’attitude de Marcion, puis celle des cathares, qui récusaient en bloc tout le Premier Testament, comme ne présentant pas de Dieu une image bien flatteuse. Mais Marcion et les marcionites furent excommuniés, et les cathares exterminés pour hérésie.

 

Il est vrai que récuser en christianisme le texte matrice était impossible, car il s’y rattache quasiment à chaque ligne, et tout lifting du texte pour aller dans ce sens était impossible. En outre, pour qu’une nouvelle religion pût être admise dans l’Empire romain, elle devait donner des preuves de son ancienneté. Le rattachement au judaïsme y contribuait. Enfin il faut remarquer qu’il y a des strates rédactionnelles très violentes dans le texte néotestamentaire même.

 

L’attitude la plus sage, à mon avis, est de dire que ce Dieu violent, colérique et sanguinaire est une projection que les hommes font sur lui. L’homme fait Dieu à son image. Étant lui-même à l’occasion violent, colérique et sanguinaire, il s’imagine Dieu de la même façon.

 

Puis, par un étrange phénomène de rétroaction ou de feed back, il se figure que cet être qu’il a ainsi créé se met à son tour en colère contre lui.

 

Et enfin, par mimétisme vis-à-vis de cet être qu’il croit extérieur à lui il devient lui-même colérique et violent.

 

– Tant il faut dans la vie se méfier des projections, et tant il est absurde d’avoir peur de sa propre ombre ![1]

 

Article paru dans Golias Hebdo, 7 septembre 2017

 

[1] Voir sur ce dernier point mon ouvrage Peur de son ombre – La lumière est en nous.

 

D.R.

 

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16 mars 2024 6 16 /03 /mars /2024 02:00

S

ur ses rapports avec le sacré, on connaît les thèses de René Girard : tout groupe social reporte la cause de ses maux sur un bouc émissaire, qui sert de victime expiatoire, chargée des fautes de la collectivité et mise à mort pour cette raison. Là serait le schéma religieux de base, qui évidemment fait perdurer la violence.

 

Mais le philosophe anthropologue prétend que le christianisme y échappe, dans la figure de la Croix : pour la première fois, l’humanité verrait en plein jour la barbarie de ce processus, et par ce spectacle inadmissible Dieu lui ferait honte de l’admettre encore. Il n’y aurait alors aucune raison de l’incriminer pour la violence commise en son nom (voir : « Charlie Hebdo : Dieu est-il coupable ? », dans : LeFigaro.fr, 4 janvier 2016)

 

Tout cela est bien beau. Malheureusement ce n’est pas conforme à quantité de textes que les chrétiens encore lisent dans leur Bible. On y voit que si Dieu est amour, ce dont se gargarisent beau­coup de croyants en oubliant la suite de la lettre, c’est qu’il a donné son Fils en victime expiatoire pour racheter les péchés des hommes (1 Jean 4/10).

 

On oublie aussi qu’il fallut que ce sacrifice, même consenti par la victime, fût un parfum d’agréable odeur (Éphésiens, 5/2).

 

Quant à la liturgie de l’Offertoire, à la Messe catholique, on y entend qu’il s’agit par la présentation d’une victime d’« apaiser » un Dieu qui donc ne peut être que courroucé. On ne voit pas là la moindre récusation de la violence, pas plus que dans le thème de l’Agneau de Dieu, qui suit parfaitement le schéma du bouc émissaire. [v. Sa­disme]

 

À la rigueur, Girard aurait raison si pour faire honte aux hommes le Père lui-même avait été mis en croix, comme l’ont prétendu les Patripassiens, ou si le Christ lui-même avait souffert en tant que Dieu, comme l’ont soutenu les Théopaschites.

 

Cette formulation selon laquelle Dieu a été crucifié pour nous, figure certes dans le Trisagion (le Sanctus) de l’Église orthodoxe. Mais elle a été critiquée pour négation de la Trinité, où les personnes doivent rester séparées.

 

De toute façon, Patripassiens et Antitrinitaires (parmi ces derniers sont les Unitariens d’aujour­d’hui) sont hérétiques aux yeux de la Grande Église !

 

Cette question est un cas d’école. On y voit l’éternelle opposition entre la recherche théologique, qui se veut ouverte et humaniste, novatrice, et la vérité philologique concernant les tex­tes, qui, elle, est inflexible.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 10 mars 2016

 

D.R.

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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