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5 mai 2023 5 05 /05 /mai /2023 01:00

B

illets, s’il vous plaît ! – J’obtempère, et présente au contrôleur mon titre de transport, me souvenant du temps où les compartiments de chemin de fer étant séparés, on entendait d’abord, précédant l’injonction, le petit bruit sec et comminatoire fait par la pince sur la vitre.

 

Par on ne sait quelle association d’idées, je me suis mis à penser à la parabole des talents (Matthieu 25/14-30). Partant pour un voyage, le maître laisse en dépôt à trois de ses serviteurs, « à chacun selon sa capacité », une somme chiffrée en talents, monnaie de l’Antiquité. De retour, il félicite les deux premiers qui ont fait fructifier, qui les cinq talents confiés, qui les trois.

 

Mais le dernier, qui a caché le seul talent reçu par peur de le perdre et de ne pas pouvoir le rendre, et le restitue donc à l’identique, est sévèrement condamné par le maître, qui lui ôte le seul talent qu’il a et le donne au premier. « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abon­dance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (29-30)

 

Cette parabole m’a toujours impressionné. Il faut donc toujours pouvoir justifier la gestion de ses dons, exactement comme il faut, sur le chemin de la vie, se trouver en état de présenter au contrôleur le titre de transport. Si on ne le peut, on doit payer l’amende, c’est-à-dire être dépouillé de ce peu même que l’on a.

 

C’est ce qu’on voit aussi dans la formulation admirable mais aussi terrifiante du logion 70 de l’évangile selon Thomas : « Jésus a dit : ‘Quand vous engendrerez cela en vous, ceci que vous avez-vous sauvera ; s’il vous arrive de n’avoir pas cela en vous, ceci que vous n’avez pas en vous vous tuera.’ »

 

Pour mon cas personnel (mais pour d’autres bien sûr ce sera différent), j’ai toujours pensé que ce « don » à cultiver était l’écriture. Chaque jour passé loin d’elle je peux me redire l’interrogation du Dies irae, où le pécheur évoque sa comparution devant son Juge :

 

« Quid sum miser tunc dicturus 

Quem patronum rogaturus

Cum vix justus sit securus ? »

 

(« Que dirai-je, malheureux que je suis, qui invoquerai-je comme avocat, quand le juste lui-même sera à peine en sécurité ? »)

 

– Mais on peut très bien, et toute sa vie durant, redouter un jugement tout en pensant qu’il n’existe pas. En effet, et là encore je n’engage que moi, je pense qu’il n’y a pas de Contrôleur, et qu’on ne sera jamais contrôlé.[1]

 

D.R.
 

[1] La matière de cette chronique fait l’objet d’une des fictions de mon livre en deux formats Fictions  I  - Libres lectures bibliques ::

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3 mai 2023 3 03 /05 /mai /2023 01:00

J'ai appris qu’en Ukraine les agriculteurs déminent eux-mêmes leurs champs pour pouvoir semer. Ils utilisent des tracteurs bricolés convertis en tracteurs démineurs télécommandés. Car les semailles n’attendent pas. Et selon les estimations les deux tiers du territoire ukrainien seraient minés. (Source : tf1info.fr, 14/04/2023)

 

Je suis très ému par cette réaction. En effet on peut y voir un acte très symbolique de courage et de résilience, effectué au mépris de toute réflexion logique qui aurait pu conduire ces paysans au désespoir et à l’abdication. C’est aussi un cas typique d’Espérance, cette deuxième vertu théologale chrétienne, que Péguy présente s’avançant entre ses deux sœurs, la Foi et la Charité, et dont il dit qu’elle est la plus incompréhensible des trois. Dieu lui-même, dit-il, n’en revient pas.

 

Les Ukrainiens auraient pu se dire que décidément ils avaient assez donné dans cette affreuse guerre, et que plus rien de bon ne pouvait désormais leur arriver. Quand on voit un cageot d’oranges dont la première rangée est pourrie, la conclusion logique est que la rangée d’en-dessous sera aussi pourrie. Bien sûr elle peut ne pas l’être. Mais il est impossible de conclure logiquement autre chose, à partir de l’examen de la première rangée, à propos de la rangée d’en-dessous.

 

Mais l’être humain n’est pas que logique, il peut choisir la résilience, même irrationnelle. Voyez aussi le cas d’Adam et Ève, nos premiers parents selon la Genèse. Après avoir perdu leurs deux fils, le premier, Abel, pour avoir été tué, et le second, Caïn, pour s’être exilé, ils auraient pu vouloir « arrêter les frais ». Mais non, ils ont eu ensuite un autre enfant, Seth, dont le nom signifie « compensation, mis à la place ». Beaucoup de parents je pense pourraient dans la même situation faire la même chose, auraient le même courage de « relever la tête », de défier l’absurde du destin.

 

En l’espèce les agriculteurs ukrainiens nous donnent une leçon. Peut-être parce qu’ils sont eux-mêmes plus près de la terre nourricière, comme Antée qui reprenait des forces à son contact. Après la catastrophe qu’ils ont subie, ils vérifient me semble-t-il le sens botanique du mot regain, dont Giono s’est servi dans son roman éponyme : herbe qui repousse après la première fauchaison. Mais aussi peut-être incarnent-ils la dernière phrase de La Terre de Zola : « Des morts, des semences, et le pain poussait de la terre. »

 

Des employés agricoles ukrainiens bricolent un tracteur pour le transformer en démineur. - D.R.

 

*

Voir aussi, sur la résilience :

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1 mai 2023 1 01 /05 /mai /2023 01:00

L

e Concile de Trente, contre le risque d’une vision purement symbolique du sacrement de l’eucharistie incarné par le protestantisme, a affirmé la réalité effective de la transsubstantiation : une fois prononcées les paroles de la consécration, le pain et le vin sur l’autel se changent réellement en corps et sang du Sauveur.

 

Ces derniers n’y sont pas en forme de figure (in figura), mais en réalité (in re). Ceux qui prétendent le contraire ont été anathématisés, appelés Figuristes, ou Tropistes (du grec tropos : tour, figure), ou encore Sacramentaires.

 

Ce réalisme et ce littéralisme, signes d’une crispation identitaire et polémique, n’ont pas toujours existé depuis l’origine du christianisme. Ainsi Augustin disait que corps et sang du Christ étaient présents sur l’autel selon une certaine manière (secundum quemdam modum).

 

L’eucharistie pouvait encore n’être qu’une anamnèse, un simple mémorial, comme elle peut l’être encore dans le texte inaugural de Paul (première épître aux Corinthiens, 11/24 et 26), sans devenir ce qu’elle fut plus tard, une manducation sacrée.

 

Notez ici que le symbolique, loin de suivre toujours dans l’histoire le littéral, peut le précéder, exactement comme le dessin des enfants est d’abord symbolique ou mental, avant d’être réaliste ou visuel et basé sur l’observation, selon l’enseignement de l’École qui les invite toujours à prendre la seconde attitude. Spontanément ils des­sinent ce qu’ils considèrent comme étant l’impor­tant pour eux, ce qu’ils savent donc à l’intérieur d’eux-mêmes, et non pas ce qu’ils voient à l’ex­térieur.

 

De la même façon des esprits comme Philon d’Alexandrie, et ensuite Origène, ont d’abord interprété les textes sacrés de façon symbolique. Ce n’est qu’après que la vision littérale a été imposée. On a préféré éblouir les gens par le miracle que les éclairer par le symbole.

 

Aussi l’Église ne me semble pas bien fondée à critiquer les Tropistes ou les Figuristes, tout simplement parce qu’elle a elle-même pratiqué constamment cette méthode d’exégèse symbolisante ou allégorisante dans sa lecture de la Bible juive. Elle y a vu des figures ou des préfigurations de ses constructions – au point que son annexion du texte juif est apparue à certains comme une captation d’héritage. Elle s’est même affirmée avec Justin comme « Vrai Israël » (Verus Israhel) !

 

Alors pourquoi ensuite condamner le figurisme, après l’avoir ainsi outrageusement pratiqué ? Deux poids, deux mesures donc : ce que j’ai fait, surtout ne le faites pas !

 

En vérité, la vraie question qui sous-tend le réalisme eucharistique est la même que celle qui sous-tend toute idée de sacrement. Le miracle ne s’y opère que validé par la personne du prêtre, vrai thaumaturge, et peut donc faire l’objet de tous les chantages. C’est là, sur les âmes et les corps, une pure question de pouvoir.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 30 décembre 2010

 

D.R.

*

Pour plus de développements sur cette question, vous pouvez voir mon ouvrage en deux tomes Théologie buissonnière, préfacé par André Gounelle :

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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