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19 avril 2024 5 19 /04 /avril /2024 01:00

Bug

C’

est une erreur dans un programme infor­matique. Les conséquences peuvent en être cocasses, ou tragiques. Ou possiblement les deux à la fois, comme il vient de se voir dans une mésaventure arrivée à Facebook.

 

Le réseau social a en effet annoncé à deux millions de membres états-uniens, dont son fondateur lui-même, qu’ils étaient morts. Lorsqu’ils se sont connectés, les internautes ont aperçu en haut de leur page une fleur et le message « En souvenir » précédant leur prénom et leur nom, qui signalent les comptes de commémoration des utilisateurs décédés, dont les proches ont fait la demande. Le réseau social a reconnu une « terrible erreur » (Source : Lefigaro.fr, 12/11/2016).

 

Cocasserie d’abord. Ce n’est pas la première fois qu’un média annonce à tort la mort de quelqu’un. Et les réactions sont parfois fort spirituelles. Ainsi un écrivain célèbre, ayant vu dans son journal l’annonce de son décès, écrivit au rédacteur en chef pour tout simplement résilier son abonnement, qui évidemment n’avait plus lieu d’être s’agissant d’une personne disparue.

 

Mais les conséquences de ce type de bourdes peuvent être tragiques. Imaginez la réaction de parents à l’étranger découvrant sur Facebook le profil « commémoratif » d’un proche !

 

On sait que l’erreur ou la méprise sur la mort de quelqu’un sont les ressorts de beaucoup de fictions tragiques. Par exemple, dans la mythologie grecque, Pyrame, cherchant son amante Thisbé, et ne voyant à sa place que son foulard et un lion, pense qu’elle a été dévorée par ce dernier, et se tue : évidemment apparaît ensuite Thisbé, bien vivante.

 

Pensez aussi à Roméo et Juliette : le premier se tue par désespoir, pensant la seconde morte, alors qu’il n’en est rien. La faute tragique (en grec hamartia) vient d’une erreur d’inter­pré­tation, qui équivaut à une fausse information.

 

Ou encore pensez à la jalousie d’Othello, qui pense Desdémone infidèle et en vient à la tuer, uniquement à cause d’un objet aussi infime qu’un mouchoir.

 

Petites causes, grands effets. On sait de même que des crises financières très graves peuvent venir de programmes prenant des décisions si rapides qu’ils ne peuvent être contrôlés. Une machine, un programme peuvent toujours nous jouer des tours. Il y a beaucoup d’œuvres (romans, films...) qui illustrent cela aujourd’hui. Je pense à Brazil de Terry Gillian, ou les malheurs « kafkaïens » qui arrivent au héros sont dus à l’erreur initiale d’une machine, qui a fait une interversion de lettres dans l’écriture d’un nom.

 

Quand un ordinateur se trompe, et qu’une catastrophe survient, on ne peut pas réinitialiser le programme pour revenir en arrière : aucun reset n’est possible. Aussi les fanatiques de l’infor­matique et du « tout numérique » feraient-ils bien d’avoir plus de prudence dans leur engouement, et cesser de croire infaillibles leurs opérations.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 24 novembre 2016

 

D.R.

*

 

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17 avril 2024 3 17 /04 /avril /2024 01:00

Elle a des règles bien étranges, comme les situations auxquelles elle donne lieu. Ainsi entend-on d’une part qu’à cause du réchauffement climatique il convient d’adopter un mode de vie plus sobre, moins axé sur la consommation. Mais d’autre part que cette résolution, pourtant vertueuse, a l’inconvénient de peser sur la croissance économique et engendre un manque à gagner pour l’État, dont les finances sont impactées du fait de la diminution des taxes générées par la consommation (la TVA par exemple). L’État est donc amené à tenir aux citoyens un double langage : ils doivent à la fois moins consommer pour agir sur le climat, et plus consommer pour conforter l’économie. Ces injonctions contradictoires, ce grand écart, ont de quoi désorienter.

 

D’autant que la crise climatique a été causée par une économie dérégulée, qui au nom de la création toujours plus grande de richesses, avec une ambition infinie a mis en coupe réglée une planète dont les ressources sont finies, comme on le voit tragiquement aujourd’hui. Pourquoi se cramponner encore aux règles d’une économie de la croissance, qui n’est pas la solution du problème que nous connaissons, tout simplement parce qu’elle en est la cause ?

 

Mais beaucoup s’attachent encore aux vieux schémas et aux vieilles croyances. Aujourd’hui par exemple, comme la situation géopolitique a changé, certains spécialistes se demandent si l’investissement dans la défense et l’armement ne serait pas maintenant l’avenir de notre économie. Et de fait les industries de ce secteur croulent sous les commandes, et leurs valorisations en Bourse explosent. On se rattache à ce qu’on peut : les armes de mort peuvent remplacer l’atonie des consommateurs. Je gage qu’après toutes les destructions guerrières que nous voyons, ce seront les industriels du bâtiment qui se frotteront les mains pour les reconstructions. De toute façon casser donne du travail, et il faut bien que l’économie fonctionne...

 

Il est temps pourtant de mettre un frein à cette course au profit, à cette fuite en avant. D’introduire ici une morale et de mettre enfin l’homme au centre du système, et non pas des lois d’airain inflexibles sans rapport avec sa vie. Pensons au message désaliénant de tel prophète humaniste : « Le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat. » Ne devons-nous pas dire aussi : L’économie est faite pour l’homme et non pas l’homme pour l’économie ?


 

D.R.

 

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15 avril 2024 1 15 /04 /avril /2024 01:00

E

lle est ordinairement vue de façon négative. Qu’un objet cher, ou encore notre cœur, vienne à se briser, et nous voici bien malheureux.

 

Cependant qui nous dit que nous avons raisons de nous affliger ainsi ? Nous pouvons essayer la réparation, et ce qui s’est brisé, même resté à l’état de cicatrice, nous sera plus cher encore.

 

Je pense à l’usage japonais du kintsugi : c’est une méthode de réfection des poteries brisées, les traces de la réparation étant volontairement laissées bien visibles, et donnant ainsi à l’objet une plus-value. On prend en compte son passé, son histoire et les accidents éventuels qu’il a pu connaître. Sa brisure ne signifie plus sa fin ou sa mise au rebut, mais un renouveau, le début d’un autre cycle et une continuité dans son utilisation. C’est pourquoi on ne cache pas les réparations, mais au contraire on les met en avant.

 

Cela nous surprend sans doute, habitués que nous sommes, dans une civilisation de l’éphémère et du jetable, à ne plus rien réparer, mais à tout remplacer. Pourtant nous devrions méditer sur l’exemple japonais. Les conséquences philosophiques et esthétiques sont considérables.

 

D’abord elles évitent l’amnésie et l’absorption dans l’instant qui nous caractérisent, en préservant la mémoire des choses. Chargées d’histoire et de coutures, elles nous touchent plus que flambant neuves. Qui ne voit que ce qui fait leur prix même est d’être fragiles et toujours menacées ?

 

D’autre part, la réussite en art est bel et bien toujours dans une brisure : celle d’un code, comme un bug dans un programme. Ce qui est attendu touche moins que ce qui surprend et désarçonne, brise l’habitude. Quand nous voulons dire que telle œuvre est faible, nous disons bien qu’« elle ne casse rien ». Une œuvre réussie au contraire est « déchirante ».

 

« Le beau n’est que le commencement du terrible », dit Rilke dans la « Première élégie de Duino ». Pensons aussi à la fameuse Terribilità, visible dans les sculptures majeures de Michel-Ange, faite de défi et de colère.

 

Le chanteur de flamenco, pour toucher l’audi­toire et atteindre enfin le duende, boit une rasade d’alcool fort, pour volontairement se briser la voix. Éraillée, elle fera mieux parler l’âme qu’une voix lisse. Le chant profond (cante jondo), qui vient du fond des entrailles, n’a rien à voir avec le bel canto. Il touche l’âme plutôt qu’il ne charme l’oreille. Le fameux Ay ! inaugural du flamenco est bien plus un cri qu’un chant. – Cette transgression des codes du bon goût et de ce qui est attendu vaut aussi pour la poésie : voyez la conférence de Lorca Jeu et théorie du duende (1930).

 

Certes on reste toujours blessé par la rencontre de l’Ange divin, figure de toute Transcendance, ainsi qu’il est arrivé à Jacob, touché à la hanche et resté boiteux (Genèse 32/24-32). Mais dans ces blessures et brisures de la vie l’Essentiel nous effleure : sachons l’accueillir et l’écouter.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 23 juillet 2015

 

D.R.

*

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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